A.T., déjà condamné dans un dossier terroriste, est suspecté d’avoir été un des geôliers des quatre journalistes français retenus près d’un an en Syrie en 2013 et 2014.
Il pensait en avoir fini avec la justice antiterroriste. Le 7 janvier 2016, A.T. est condamné à Paris à neuf ans de prison. Arrêté en avril 2014 en Espagne alors qu’il s’apprêtait à rejoindre l’Algérie, il est reconnu coupable d’association de malfaiteurs terroriste pour avoir participé à des opérations militaires lors de son séjour en Syrie de fin 2012 à novembre 2013. Il a aussi contribué à y faire venir plusieurs recrues. Depuis sa condamnation, cet homme âgé de 30 ans purge sa peine à Laon (Aisne). Mais le 12 décembre, A.T. a été mis en examen pour « séquestration en relation avec une entreprise terroriste » et association de malfaiteurs terroriste criminelle dans le dossier des otages. Le natif de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) est suspecté d’avoir été un des geôliers des quatre journalistes français — Didier François, Edouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torres — enlevés, séquestrés et battus par les hommes de l’Etat islamique entre juin 2013 et avril 2014. Il conteste ces accusations. A.T. avait déjà été extrait de sa cellule en juillet 2018 pour être interrogé dans ce dossier. Les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) disposent d’indices permettant d’envisager sa proximité avec d’autres geôliers identifiés. A.T. était très proche du Val-de-Marnais S.B. en Syrie. Or ce dernier, qui avait été placé en 2014 par les Etats-Unis sur la liste des djihadistes les plus recherchés, a été identifié par les ex-captifs. Visé par l’enquête en cours, il est présumé mort en novembre 2017.
Des conversations troublantes au téléphone
Parmi les interlocuteurs de la ligne téléphonique utilisée par A.T. en Syrie, figurait en outre la mère de M.N. Le tueur du Musée juif de Bruxelles, condamné à la prison à vie pour cette attaque qui a fait 4 morts en 2014, a été formellement reconnu par plusieurs ex-otages. Il est mis en examen depuis novembre 2017. Pour les enquêteurs, le partage de la même ligne téléphonique entre M.N. et A.T. signe leur proximité physique. Les interceptions téléphoniques révèlent également plusieurs conversations troublantes. Le 5 juillet 2013 par exemple, A.T. explique à son interlocuteur être en présence d’Abou Omar — pseudonyme de M.N. —, Abou Mohamed (S.B.) et Abou Obeida (un autre geôlier présumé). Enfin, Nicolas Hénin, entendu peu après sa libération, reconnaît la voix d'A.T. comme ayant été celle d’un de ses geôliers. Confronté à ces indices en juillet 2018, ce dernier assure qu’il n’est pas impliqué dans la détention des otages. « Je ne connais pas cette personne », indique-t-il en parlant de M.N. L’ancien manutentionnaire admet cependant avoir été hébergé plusieurs mois à l’hôpital ophtalmologique d’Alep, tristement célèbre pour avoir été l’un des centres de détention de Daech. Les quatre journalistes français y ont été retenus. « Comment expliquez-vous qu’un des prisonniers a reconnu votre voix […] ? » interroge l’enquêteur de la DGSI. « Il doit confondre », évacue le suspect qui insiste : « Ce n’est pas parce que vous avez tous ces éléments contre moi que je suis coupable. Je n’ai rien à voir avec ça. Par contre, si les otages me reconnaissent formellement, je ne pourrai pas le nier. Mais je suis sûr et certain, s’ils sont honnêtes, qu’ils diront que je ne suis pas là. » Depuis cet interrogatoire, dont A.T. était ressorti sans poursuite, les quatre journalistes ont été réentendus au printemps par le juge d’instruction qui leur en a fait visionner un extrait. Nicolas Henin, qui avait identifié la voix du suspect en 2014 en l’attribuant faussement à S.B., ne le reconnaît pas. Pierre Torres non plus, même s’il explique que, les circonstances étant très différentes, il est difficile pour lui d’identifier quiconque.
« Un groupe de geôliers assez excités, francophones »
« Cette vidéo m’interroge », explique Edouard Elias, qui se remémore un épisode à l’hôpital ophtalmologique d’Alep avec « un groupe de geôliers assez excités, francophones ». « Il y en avait un qui avait une voix qui m’a rappelé celle de la personne dont vous venez de me montrer la vidéo, […] ça résonne en moi », développe le photo reporter. Enfin, même s’il ne reconnaît pas physiquement A.T., Didier François est troublé : « Eventuellement, la voix peut me faire penser à celle d’un des geôliers qu’ on avait pu croiser en juillet 2013 à l’hôpital d’Alep », avance-t-il. Devant le juge d’instruction qui lui a signifié ces nouvelles poursuites, A.T. a gardé le silence. « Mon client répondra aux questions du magistrat instructeur sur ces accusations qu’il conteste formellement, indique son avocate, Me Noémie Coutrot-Cieslinski. Je suis très réservée sur cette mise en examen qui intervient tardivement dans un dossier déjà ancien. »