Une place inédite est accordée aux victimes de la terreur au procès des attentats. Pour ce procès, plus de 2 000 personnes se sont constituées parties civiles.
"Elles sont sur liste d’attente. Pour l’instant, je n’ai pas du tout la possibilité de fixer leurs dates de passage.” C’est par ces mots que Jean-Louis Périès a ouvert jeudi l’audience de la vingtième journée du procès des attentats du 13 novembre 2015. Ces derniers jours, le président de la cour d’assises spéciale de Paris a reçu 70 nouvelles demandes de parties civiles pour venir témoigner à la barre. Depuis le mardi 28 septembre, des dizaines de rescapés, de proches des victimes décédées ont été entendus. Tous racontent cette nuit d’horreur, d’angoisse mais aussi leur traumatisme.
À chaque fois, l’ensemble de la cour d’assises reste figé, le souffle coupé, face à la force de ces témoignages. Des rescapés arrivent à la barre en fauteuil roulant, avec une béquille, le visage encore défiguré par une balle. Une procession de récits profondément humains.
Au début du procès, Jean-Louis Périès avait prévenu que les débats seraient certes hors norme, mais qu’ils devaient rester dans la norme judiciaire. Pourtant, selon plusieurs avocats interrogés, du côté de la défense comme des parties civiles, jamais un procès aux assises en France n’a laissé autant de place au récit des victimes.
La question délicate
En début de semaine, l’un des avocats de la défense s’est étonné que la cour donne son feu vert à la diffusion d’une vidéo transmise par un rescapé. Une vidéo festive de l’une des terrasses visées juste avant l’attaque. “Aurait-on accepté la diffusion d’une telle vidéo dans un procès normal ?”, lance alors Me Martin Méchin, l’avocat d’un des accusés, le Belgo-Marocain Ali El Haddad Asufi.
Cette question de la place laissée aux victimes est délicate. Peu d’acteurs de ce procès osent la poser. “Ce n’est pas simple, c’est certain. C’est délicat parce qu’on est face à des victimes dont on ne peut même pas imaginer la souffrance. Soulever cette question, ça fait presque un peu mesquin, mais, si les avocats de la défense ne la posent pas, personne ne le fera”, explique Me Méchin. Il ajoute : “Ce qui devrait préoccuper principalement la cour, c’est la culpabilité ou non des personnes qui sont dans le box. Nous, les avocats de la défense, on ne va pas interroger ces victimes, ça n’apporterait rien à la manifestation de la vérité et on ne veut pas ajouter de la souffrance à la souffrance.”
Fin 2020, au cours du procès des attentats de janvier 2015 dont l’attaque contre Charlie Hebdo, les victimes avaient aussi eu longuement la parole. “Dans ces procès historiques, la justice a prévu un temps réservé aux victimes et à leurs témoignages. Tout cela construit un moment de mémoire, il y a quelque chose de très cérémonial”, analyse Antoine Mégie. L’enseignant-chercheur travaille depuis plusieurs années sur la justice antiterroriste. “En France, le procès pénal se focalise normalement sur les accusés, mais le procès des attentats du 13 Novembre, comme celui des attentats de janvier, laisse pour le moment aux victimes un espace important. Dans ces conditions se pose alors la question de la place des accusés et de leur défense pendant ces cinq semaines d’auditions des parties civiles.”
Effet thérapeutique
De leur côté, les victimes présentes au procès répètent que ces témoignages leur font du bien. Pour elles, ces longues auditions ont une vertu thérapeutique. Elles peuvent enfin s’exprimer, raconter, être entendues pour celles qui viennent raconter à la barre la solitude dans laquelle elles ont été plongées après ces attentats. “Les rescapés, les proches des victimes, il ne faut pas oublier que, pour la grande majorité, ils n’ont pas été entendus par les juges d’instruction, comme cela se fait pour les parties civiles dans le cadre d’un procès pénal classique. Beaucoup n’avaient donc pas encore témoigné devant la justice”, précise Me Noémie Coutrot-Cieslinski, avocate de plusieurs proches de personnes décédées dans les attaques.
Édith est l’une des rescapés du Bataclan. À la sortie de l’audience, après avoir témoigné, elle est épuisée mais soulagée. “C’était nécessaire pour avancer. Moi, je n’attends rien du procès en particulier, si ce n’était de venir témoigner. Mais je me dis que le président de la cour d’assises, ses assesseurs, eux, vont y laisser des plumes. Cela doit être tellement difficile d’entendre tous les jours ces récits horribles…”
"Si cela peut avoir une vertu thérapeutique, tant mieux”, souligne encore Me Coutrot-Cieslinski, qui s’interroge : “Peut-on guérir en témoignant devant une cour d’assises ? Je ne suis pas sûre, cela s’inscrit dans un processus bien plus long.” Ces derniers jours, les avocats des parties civiles ont reçu une consigne discrète : demander à leurs clients de ne pas dépasser les vingt minutes de récit lorsqu’ils sont à la barre. Les avocats belges de ce procès, eux, s’interrogent déjà sur la suite, le procès des attentats de Bruxelles étant prévu en septembre 2022. “Ce qui se passe à Paris est un laboratoire pour la Belgique. Pour Bruxelles, il faudra discuter de cette place des victimes lors des réunions préparatoires, que l’on ne se retrouve pas au pied du mur comme ici”, confie Me De Taye, l’avocat belge d’Ali El Haddad Asufi.